Le droit à l’intériorité

Protéger le dedans de l’être

EVEIL QUOTIDIEN

Parfait OUATTARA

12/11/20254 min temps de lecture

Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est là dans le lieu secret. -- Matthieu 6:6

Qu’on soit croyant ou non, cette parole ancienne rappelle une vérité simple , l’être humain a besoin d’un lieu intérieur protégé, à l’abri du regard du monde.

Un monde qui entre sans frapper

Le matin, dans de nombreux foyers, la première lumière n’est plus celle du jour, mais celle d’un écran.
Avant même de se lever, le regard se pose sur les notifications, les messages, les flux.
La journée n’a pas encore commencé qu’elle est déjà occupée.

Cette scène ordinaire révèle une réalité plus profonde : la frontière entre le dedans et le dehors se fragilise.

Les sociétés modernes ont appris à protéger les maisons par des serrures, les pays par des frontières, les comptes par des mots de passe. Pourtant, un territoire demeure largement exposé : l’intériorité.

À l’heure où les intelligences artificielles, les plateformes numériques et les modèles économiques fondés sur la captation de l’attention s’imposent au cœur de la vie quotidienne, une question s’impose , L’humanité saura-t-elle reconnaître et protéger un droit à l’intériorité, au même titre que les autres droits fondamentaux ?

Ce que recouvre le « droit à l’intériorité »

On peut proposer la définition suivante : Le droit à l’intériorité est le droit, pour chaque être humain, de disposer d’un espace intérieur souverain, protégé des intrusions techniques, économiques et sociales, et reconnu comme condition de sa dignité.

Cet espace n’est pas un luxe spirituel, mais un besoin vital. Il comprend plusieurs dimensions.

1. Le droit au silence
Le droit à des moments sans flux imposé, sans obligation de connexion ni de réaction immédiate. La liberté de fermer la porte aux écrans pour laisser une fenêtre s’ouvrir à l’intérieur.

2. Le droit à la profondeur
La possibilité de consacrer du temps à penser, créer, méditer ou prier, sans que ces activités soient considérées comme secondaires ou "improductives".

3. Le droit au secret légitime
La liberté de garder pour soi certains mouvements de l’âme : doutes, élans, combats intérieurs. Tout n’a pas vocation à être exposé, commenté, partagé.

4. Le droit au retrait périodique
La possibilité reconnue de se retirer temporairement des flux (retraites, temps de solitude, périodes allégées de sollicitations). Non pas comme fuite, mais comme hygiène de l’esprit.

Ce droit vise à préserver la capacité de l’être humain à rester sujet - capable de choix et de discernement - et non simple objet dans des systèmes qui cherchent, par construction, à occuper son attention disponible.

Les forces qui grignotent l’espace intérieur

L’adversaire n’est pas une machine isolée, mais un ensemble de logiques qui se renforcent :

  • des plateformes dont la survie dépend du temps passé à les consulter ;

  • des modèles économiques qui transforment l’attention en marchandise ;

  • des dispositifs conçus pour interrompre, relancer, retenir ;

  • une culture de l’urgence où la valeur se mesure à la rapidité de réponse.

Peu à peu, se dessine une forme de culte discret , chaque jour, une part de l’attention humaine est déposée, souvent sans conscience, sur l’autel des écrans. Ce qui est offert là n’est pas seulement du temps. C’est la capacité de se recueillir, de se concentrer, de revenir à ce qui compte vraiment.

Un enjeu intime… et collectif

Le droit à l’intériorité engage à la fois la personne et la société.

Sur le plan intérieur, lorsqu’elle se dissout , la vie se laisse porter par les flux plutôt que par un axe,
la rumeur prend la place de la vérité, l’urgence remplace l’important, et la fatigue mentale s’installe sans toujours dire son nom.

Sur le plan collectif, un corps social qui perd le sens de l’intériorité devient vulnérable , il confond le bruit avec l’essentiel,
le spectaculaire avec le nécessaire, et peine à se projeter au-delà de l’instant.

La question ne se limite donc pas à Comment chacun peut-il se protéger ? Elle devient aussi , Quels repères, quelles lois, quelles institutions peuvent reconnaître et garantir ce droit ?

Des pistes existent déjà :

  • droit à la déconnexion dans le monde du travail,

  • espaces sans écran dans certaines écoles,

  • réflexion éthique sur les modèles des plateformes,

  • temps de silence et de retrait intégrés dans des programmes éducatifs ou spirituels.

Elles restent fragiles, mais elles indiquent une direction :
faire de l’intériorité une réalité socialement protégée,
et non seulement une affaire privée.

Clé du jour : remettre le dedans au centre

Dans un univers saturé de signaux, la vraie richesse ne réside plus seulement dans l’accès à l’information, mais dans la capacité à préserver un centre intérieur vivant.

Le droit à l’intériorité rappelle que sans ce centre, les connaissances s’empilent, mais la sagesse ne se forme pas.
Sans ce centre, les décisions se multiplient, mais le sens se perd.

Geste concret

Pour honorer ce droit de manière symbolique et réelle, il est possible de poser aujourd’hui un double geste :

  • Pour soi :
    choisir un moment précis de la journée (même court) où aucun écran n’est consulté, puis écrire une phrase pour ce "lieu secret" : une question, une intention, une gratitude.

  • Pour le collectif :
    refuser une sollicitation numérique non urgente en le disant clairement : "Je protège ce temps au nom de mon droit à l’intériorité." Ou, pour ceux qui le peuvent, suggérer à une école, une équipe, une communauté
    la mise en place d’un espace ou d’un temps sans écran.

Un petit acte pour soi, un petit acte pour le monde.

Question pour la journée : Quel acte concret vais-je poser aujourd’hui pour honorer ce lieu secret en moi et le protéger du bruit du monde ?

Entre le tumulte extérieur et ce lieu intérieur que personne ne voit, se joue peut-être l’une des grandes batailles silencieuses de notre temps.